TESSAI (TOMIOKA)

TESSAI (TOMIOKA)
TESSAI (TOMIOKA)

Lorsqu’en 1858 le Japon s’ouvre à l’étranger, après trois siècles d’isolement total, l’enthousiasme des amateurs et des artistes pour les arts occidentaux provoque une sorte de désintérêt pour la tradition japonaise. Ce brusque passage du Japon au rang de «pays moderne» se reflète dans un art dont l’évolution va revêtir, dès lors, des aspects variés et complexes.

Dans le domaine de la peinture, on distingue deux courants principaux: l’un occidental, soutenu par des artistes ayant séjourné en Europe pour parfaire leurs connaissances; l’autre japonais (le yamato-e ), qui reprend ses droits dès la fin du XIXe siècle. En fait, cette dernière tendance est elle-même touchée par l’introduction de la peinture occidentale. Et à Ky 拏to, centre de la peinture traditionnelle, Takeuchi Seih 拏 (1864-1942) est le tenant d’un style révolutionnaire qui allie le yamato-e à la perspective et aux techniques venues de l’Ouest. C’est l’«orientalisme», qui donnera bientôt naissance au «néo-classicisme», tendance dominante de la peinture de style japonais pendant la première moitié du XXe siècle.

Réagissant contre ce courant, plusieurs mouvements se succèdent, au cours de cette même période, qui adoptent de nouveaux thèmes et une nouvelle utilisation du pinceau. Parmi ces artistes, d’une indéniable originalité, se situe Tomioka Tessai.

L’enfance d’un lettré

Bien que l’on puisse voir en Tomioka Tessai un des plus grands peintres du Japon moderne, lui-même s’est toujours considéré plus comme un lettré que comme un peintre. Pour lui en effet, la peinture n’est qu’un divertissement, qu’il pratique à l’écart des milieux artistiques, dans un style libre, imperméable aux tendances modernes et caractérisé par une profonde individualité. Cela s’explique par son éducation.

Tessai naquit à Ky 拏to, alors capitale du Japon, dans une famille aisée de confectionneurs, spécialistes de vêtements sacerdotaux, et dans un pays en pleine mutation, au sortir d’une féodalité séculaire. Dès son jeune âge, son goût marqué pour l’étude, encouragé par sa famille, permet à Tessai de préserver son équilibre malgré l’atmosphère troublée dans laquelle il grandit. Une grave maladie d’enfance lui laisse une légère surdité, qui accentue encore son amour des livres: très jeune, il est initié aux classiques confucéens, de même qu’au taoïsme, au bouddhisme, à l’histoire et à la littérature japonaises.

Sa rencontre avec la nonne poétesse Otagaki Rengetsu est un événement déterminant pour l’avenir de cet adolescent érudit. Et tandis qu’il calligraphie sur des poteries des poèmes de la religieuse, celle-ci, avertie des dons de Tessai, l’initie à l’art poétique et aux classiques chinois et japonais. Cette expérience va contribuer à former une personnalité originale et explique la haute spiritualité dont ses œuvres sont imprégnées.

Un peintre lettré

Dès ce moment, Tessai commence à peindre, mais ce n’est pour lui qu’un passe-temps, car il s’adonne surtout à ses deux passions: la lecture et les voyages. Il parcourt le Japon en tous sens et fraye avec de nombreuses personnalités politiques et littéraires. Cette curiosité et ces contacts toujours renouvelés et élargis se reflèteront dans ses œuvres tardives.

De 1873 à 1881, il travaille pour le gouvernement à la restauration de nombreux sanctuaires shint 拏 laissés à l’abandon. Puis il revient à Ky 拏to et se consacre à la lecture et à la peinture, son œuvre commençant à être connue et appréciée. Certes, il ne participe à aucune exposition, mais ses jugements sont respectés et il devient peu à peu une personnalité éminente du monde artistique: en 1917, il est élu membre de l’Académie impériale de peinture, la plus haute distinction à laquelle puisse aspirer un artiste. Tessai n’en continue pas moins à vivre à l’écart, ne peignant que pour son propre plaisir, d’autant qu’avec l’âge, sa santé s’affaiblissant, il ne peut plus satisfaire sa passion des voyages. Il comble ce besoin en créant tout un monde imaginaire dont témoignent ses dernières œuvres, empreintes d’un certain mysticisme qui révèle la vigueur de sa vie intérieure. Il meurt à Ky 拏to, à l’âge de quatre-vingt-huit ans, le pinceau à la main.

L’union de l’encre et de la couleur

La qualité des valeurs encrées de Tessai, tout en nuances subtiles et souvent combinées à des couleurs brillantes, s’explique non seulement par sa technique remarquable mais aussi par sa conception de l’art.

Le papier japonais lui permet de rendre une large gamme de tons d’encre allant des effets voilés, dus à un pinceau très humecté, à ceux beaucoup plus rudes, dus à un pinceau presque sec, qui attaque la surface du papier et doit être manié avec rapidité et exactitude. Sa longue pratique de l’encre est à l’origine de son talent de coloriste. En effet, les pigments orientaux, minéraux pour la plupart, doivent être appliqués sur le papier très absorbant avec une habileté et une vélocité extrêmes dans l’exécution: de là, la pureté et la limpidité des tons de Tessai, qui, unis aux valeurs encrées, les font ressortir, tandis que celles-ci accentuent les contrastes colorés.

Tessai, peintre lettré, s’inspire souvent de poèmes anciens ou d’écrits bouddhiques qu’il calligraphie sur la peinture. Mais ces textes ne constituent qu’un point de départ à une œuvre imaginaire et, de la même façon, ses oiseaux, ses fleurs, ses paysages (le Mont Fuji par exemple) ne visent jamais à de simples représentations de la réalité: ce sont, au contraire, la traduction de ses visions intérieures, fruits de longues années de méditation et de concentration. Ses portraits, qu’il s’agisse de moines éminents, de poètes qu’il respecte, ou bien encore de simples pêcheurs ou de buveurs, ne sont jamais des images figées. Leurs allures peu conventionnelles et déformées expriment l’horreur de l’artiste pour le superficiel et le banal, son refus de tout compromis avec un monde moderne et changeant dont il se tient volontairement à l’écart.

Cette personnalité isolée et excentrique n’eut pas de maître et ne forma aucun disciple. Elle s’affirme néanmoins comme une puissance artistique incontestée, dont l’œuvre porte la marque à la fois d’un art traditionnel et d’un esprit libre et élevé.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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